The Beach : quand la quête d’utopie finit en brochure touristique pour la Thaïlande
23/05/2025
Il y a des films qui marquent une époque, et d'autres qui la prophétisent malgré eux. The Beach, sorti en 2000, fait un peu les deux. Avec un Leonardo DiCaprio post-Titanic, une plage sublime (vraiment sublime), une bande-son culte (Pure Shores des All Saints en tête) et cette promesse folle : fuir le monde moderne pour une vie de communauté sur une île secrète. Un rêve, non ?
Oui.
Mais un rêve qui, une fois projeté sur grand écran, a attiré des millions de spectateurs… et de touristes. Ironie du sort : The Beach, film critique du tourisme de masse, en est devenu l'un de ses déclencheurs les plus puissants.
Étude d'un film emblématique, oscillant entre aspiration à la liberté et annihilation progressive d'un paradis
Une plage si belle qu'elle ne devrait pas rester un secret.
La réalisation du film a eu lieu à Maya Bay, au sein du parc national de Koh Phi Phi Leh, en Thaïlande.
Un trésor naturel, presque vierge, préservé… jusqu'à l'invasion d'Hollywood.
Afin de rendre la plage « plus photogénique », les équipes de production ont remodelé les dunes, importé des palmiers et effectué quelques modifications sur le lieu. À cette époque-là, des ONG locales avaient donné l'alerte. Sans succès.
Suite à la sortie du film, l'impact est instantané : Maya Bay se transforme en destination touristique de renommée internationale. Des centaines de milliers de visiteurs affluent chaque année. On vient « suivre les pas de DiCaprio », prendre des selfies, jeter l'ancre. Conséquence ? D'importants dommages environnementaux. Coraux détruits, biodiversité dérangée, écosystème dévasté.
Pour préserver la plage, les autorités thaïlandaises ont décidé de la fermer en 2018.The Beach avait conçu une utopie délicate. La réalité a fait d'elle un endroit invivable.
L'utopie qui dérape doucement
Dans le long-métrage, Richard (Léo) est un jeune Américain en recherche de sens, souffrant d'une allergie au tourisme de masse. Il aspire à l'authenticité, à la déconnexion, à la nature.
Lorsqu'il tombe sur une carte menant à une île cachée, il se croit tombé sur le saint graal. Il fait la découverte d'une petite communauté sur place. Des idéalistes en quête d'indépendance, vivant en autarcie, tels des backpackers post-ado. C'est magnifique, c'est sans contrainte, c'est intense.
Mais rapidement, la logique de l'utopie bascule :
— Règles rigoureuses, pression collective, non-dits.
— Refus des « autres » (c'est-à-dire : tous ceux qui n'appartiennent pas au groupe).
— Et une dirigeante charismatique (Tilda Swinton, impeccable en gourou raffinée) qui s'assure que tout « demeure tel que c'était », même lorsque tout se désintègre. Le rêve se dissipe lentement. L'île se transforme en une prison à ciel découvert. Quant à Richard, il dérive.
Le paradoxe du touriste anti-touriste
L'un des principaux atouts du film, c'est la représentation de ce personnage nommé Richard. Car il nous reflète. On fait des blagues sur les touristes, pourtant nous sommes là aussi. On désire « la vérité », mais avec une connexion Wi-Fi de qualité. On aspire à la tranquillité, pourtant on partage 14 stories dès qu'on aperçoit un coucher de soleil.
The Beach, c'est exactement ça : une analyse à la fois tendre et amère de la recherche d'authenticité dans un univers hautement connecté. Ce qui est remarquable, c'est que le film ne délivre pas de morale. Il fait preuve. Il pose des questions. Il met en lumière nos contradictions, sans toutefois accuser du doigt.
Un film de référence… et involontairement prémonitoire
Si on le considère aujourd'hui, The Beach ressemble presque à une fable.
Cela reflète la candeur d'une époque précédant Instagram. Le désir d'échapper au système en construisant quelque chose de nouveau - sans réaliser qu'on transporte le système avec soi.
La plage secrète est en train de devenir virale.
La critique se transforme en outil de marketing.
Airbnb se transforme en utopie.
Cependant, malgré ses imperfections, le film demeure magnifique. Tout est présent : son atmosphère, sa prise de vue, son intensité, sa folie légère.
C'est un film qui a du sable dans les cheveux et des interrogations pleines les poches.
Et maintenant, on fait quoi ?
Maya Bay est à présent de nouveau ouverte au public, mais avec des contraintes : le nombre de visiteurs est limité à 300 par jour, la baignade est proscrite et l'accès aux bateaux est restreint.
C'est une tentative de réparer, ou du moins de ralentir le processus. The Beach nous rappelle que nos aspirations ont une incidence. La beauté est séduisante, et le désir de liberté peut se muer en obsession.
Il ne s'agit pas de faire une condamnation. Ni les voyageurs ni le film.
C'est une question de réflexion. D'entreprendre des voyages avec moins d'égo et davantage de considération. Et peut-être qu'il faut aussi… conserver certains havres de paix pour soi.