Tatouages amazighs : entre transmission, féminité et renaissance moderne
13/07/2025
Il fut un temps où se faire des tatouages aux doigts, au menton ou sur le front avait une signification différente de « avoir l'air badass sur Instagram ». Il s'agissait d'un code. Un cri muet dans le désert. Un document d'identité sur la peau. Actuellement, les tatouages amazighs (également appelés berbères ou tamazighs, selon votre perspective politique du café que vous buvez le matin) connaissent une forte résurgence. Et pas uniquement sur Pinterest. Le corps se transforme à nouveau en toile. L'encre se transforme de nouveau en fil. Et nos générations, prises au piège entre héritage et westernisation superficielle, se réapproprient cette langue. Avec douceur. Avec fureur. Avec élégance.
Origines – L'ADN de l'encre
Les tatouages amazighs ont une ancienneté qui dépasse largement celle du tatoueur hipster de Belleville. Ils font référence à des siècles de tradition symbolique et orale. Pour les communautés amazighes d'Afrique du Nord, le fait de se faire tatouer signifiait : Souligner une étape de la vie (puberté, mariage, maternité)
Se prémunir contre le mauvais œil.
Déclarer une appartenance tribale ou familiale.
Parfois, on se sent même obligé de devenir un peu plus « compatible avec le mariage », selon des normes que la société patriarcale n'a pas encore mises à la poubelle. Les raisons ?
Le losange (féminité, fécondité)
Le croissant de lune (protection, cycles)
Les lignes verticales (connexion entre le ciel et la terre)
Les étoiles, les yeux, les chevrons… un art géométrique qui aurait sûrement reçu l'approbation de Mondrian. Chaque motif possédait une position, un sens et un moment précis. Il n'y avait pas d'éléments décoratifs. Tout était animé.
Révolution discrète - La peau en tant que mémoire
Des femmes, des mères, des grand-mères entières ont porté ces tatouages comme des prières muettes.
Puis, silence.
L'islamisation progressive de la région les a rendus haram.
L'État postcolonial les a jugés « arriérés ».
Les normes contemporaines les ont déclarés « non propres », « trop voyants », déplacés.
Certaines ont tout tenté pour les faire disparaître : frottés, recouverts, effacés au laser.
D'autres ont préféré cacher leurs bras sous des manches longues, même en plein été.
Et beaucoup ont tout simplement… cessé de transmettre.
Et pourtant.
Le feu n'a jamais cessé de couver. Aujourd'hui, il remonte à la surface.
Ce sont les filles, les nièces, les petites-filles qui le réveillent.
Avec des tatouages sur les mains, les clavicules, ou — provocation ultime — le doigt du milieu levé.
Transmission et féminité : serait-ce cela, la véritable radicalité ?
Aujourd'hui, se faire tatouer amazigh a une connotation politique.
C'est féministe sans le symbole du hashtag, décolonial sans l'usage d'un acronyme et spirituel sans la présence d'un temple. C'est-à-dire : "Je descends d'une lignée qui saignait sous les aiguilles, pas sous les scalpels."
« Je garde en mémoire les chansons chuchotées pendant que nous extrayions l'encre d'indigo. »
« Je suis la mémoire vivante d'un peuple qu'on a tenté de reléguer aux confins. » C'est tout aussi… beau.
Sincèrement. D'une beauté brutale.
Cela dérange les puristes, les religieux, les racistes et parfois même… ces oncles gênés qui te lancent à table :« Et ça, ici, sur ta main ? » Qu'est-ce que c'est ? « Ne serait-ce pas un peu excessif ? » Mais pas du tout, mon oncle. Ce n'est pas excessif. C'est exact.
C'est ce qui t'a été légué. C'est ton récit. Il se pourrait même que ce soit celle de ta sœur.
L'art vivant sur la peau - Et si nous avions le courage de le faire sans autorisation ?
Quelques-uns imprègnent en mémoire. D'autres se livrent au tatouage dans un état de rage. Certains tatouent comme on dépose un poème dans un monde insensible. Toutefois, ce qui est indéniable, c'est que chaque dessin tatoué en 2025 représente un petit miracle.
Un acte de résistance silencieuse, de fierté discrète.
Il n'est pas nécessaire de créer une story de 12 diapositives pour montrer que c'est culturel : le dessin parle de lui-même. Et que faire si tu es indécis sur le motif de ton tatouage ?
Interroge ta mère. Ou chez sa mère. Ou sur ton instinct. Chez les Amazighes, la mémoire a toujours une façon de resurgir.
Ce qu'il reste à encrer
Parfois, ce que la peau révèle n'est pas entendu par l'État. Ce que la peau pleure, les archives oublient.
Mais ce qui marque la peau, nos enfants pourraient peut-être le lire.
Donc, si tu as des doutes aussi…
Pas pour la tendance.
Pas pour la « connexion aux racines » qui coûte 80€ par séance de yoga berbère.
Cependant, d'une certaine façon, une femme âgée — peut-être ton ancêtre — a marqué son menton pour que tu te souviennes de tes origines. Et si ce n'est pas toi qui poursuis, qui le fera à ta place ?
Par : Anne-Sophie MESLEM