Marie-José Perec 1991 : Quand la gazelle ne valait qu'un plan de dos

07/07/2025
Marie-José Pérec, connue sous le nom de "la gazelle" grâce à sa course légère et élégante, était bien plus qu'une silhouette gracieuse : elle était une athlète hors pair, capable de pulvériser non seulement des records… mais aussi des stéréotypes. Tokyo, 1991. Elle s'élance sur la piste, 400 mètres marqués par une force et une maîtrise qui la propulsent vers la victoire mondiale. Cependant, le jour suivant cet exploit, ce ne sont ni son visage, ni son cri d'exultation, ni son effort que l'on retrouve en première page du principal quotidien sportif français.
C'est son postérieur. Effectivement. Une image de dos. Focalisée. Soignée. Presque artistique — si l'on considère que la victoire se mesure à la courbure. Et cette légende, qui pourrait venir d'un mauvais bar PMU :
« On m'a affirmé que j'avais de belles fesses, donc on a choisi celle-ci. »


Une voix qui exprime à haute voix ce que la société pense en silence


1991, c'est encore la période du sexisme léger. On ne parle pas de "misogynie", mais de "blague de vestiaire". On ne mentionne pas "la réduction du corps féminin à une image", on dit simplement "c'est pour le marketing".
Cependant, cette image révèle l'inconscient collectif d'une société qui n'a pas encore pris conscience que les femmes ne sont pas là pour embellir les succès des hommes.
Marie-José Pérec, ce jour-là, est la championne du monde. Mais pour certains, ce qui prime, c'est d'abord la courbe de ses fesses. Sa foulée n'est pas célébrée. Elle est exhibée. Un angle de vue arrière. Une médaillée d'or réduite à une affiche suggestive. Le sport féminin ne vaut qu'une image — au sens propre comme au figuré.


"De toute façon, vous montrerez encore mon cul"

Deux ans plus tard, la revanche est frontale.
France 5. Plateau télé. Pérec est face à un ponte de L'Équipe. Et là, elle lâche :
« C'est nul ce que vous avez fait. Et de toute façon, on sait déjà ce que tu vas faire dans ton prochain numéro : tu vas encore montrer mon cul. » 

La déclaration résonne comme une claque dans un environnement trop courtois. Elle exprime la vérité, elle s'exprime avec force, et avant tout, elle s'exprime. À une période où l'on attend encore des athlètes féminines qu'elles soient élégantes, souriantes et reconnaissantes.

Ce n'est pas une apparition publique. C'est un instant de vérité.

Elle ne réclame rien. Elle réclame le respect. Et dans son regard, il n'y a pas seulement de la colère — il y a une mémoire vive. Une blessure toujours béante.


Quand les arrière-trains cachent le succès

Au cours des années 90, la sexualisation se fait sans que cela soit déclaré. On parle de "mettre en avant le muscle". On affirme que ce n'est pas d'ordre sexuel — simplement esthétique. Cependant, lorsque qu'un magazine opte pour cette image parmi tant d'autres, cela a un sens. C'est une élaboration. Une hiérarchie. On privilégie le physique, non pas la performance. La représentation, non pas l'effort. Le cadre, non pas le parcours. Mais attention, ne visons pas mal.

Le physique d'une athlète, c'est également cela : beau, puissant, admirable. Il a le potentiel d'émerveiller, de captiver, d'inspirer. Le mouvement, la forme, la force – tout cela peut être perçu avec émotion, voire une certaine admiration. Le problème n'est pas le fait qu'on le regarde.

C'est la manière dont on le regarde. Et à quel moment, dans quelles circonstances, avec ou sans son consentement. Ce jour-là, Marie-José Pérec n'a pas posé. Elle n'a pas sélectionné cette photographie. Elle n'a pas signé pour que son instant de renommée soit converti en moment d'exposition.

Ce n'était pas une séance photo. Ce n'était pas une campagne. C'était un vol d'image. Une capture sans permission. Une Une sans accord. Et c'est cela qui fait toute la différence.


Un reflet des années 90

Voilà aussi ce que représente cette Une. Un reflet. D'une ère, d'une presse, d'une communauté. Le sexisme demeurait flou et insidieux. On n'employait pas le terme "objetisation". On affirmait simplement "c'est commercial". On exhibait les corps sans consentement.

On désignait cela comme "du sport". Et dans cette ambiance, Marie-José Pérec apparaît telle une étoile filante. Discrète, mais redoutable. Elle court, elle triomphe, et surtout… elle n'oublie pas.


Une voix pour les suivante

Des années plus tard, l’ex-championne publie un livre. Elle aborde enfin cette photo. De cette blessure. De ce moment où sa victoire a été retirée de sa propre histoire. 
Et ce que l’on entend va au-delà d’un simple témoignage. 
C’est un avertissement. Une transmission. 
Car il existe encore trop de sportives que l’on filme comme des publicités Wonderbra. 
Parce que certaines carrières demeurent prisonnières d’un angle de prise de vue. 
Pérec n’a pas été seulement la plus rapide. Elle a été l’une des premières à dire non.


Dernière ligne droite 


Les perspectives ont légèrement évolué. Les regards, en revanche, demeurent parfois inchangés. La lutte, elle, persiste - dans les images, les mots et les corps. Ce que Marie-José Pérec a accompli ce jour-là, ce n'était pas seulement un 400 mètres. C'était une arrivée invisible : celle du respect, de la parole réclamée, des limites surpassées.
Si ses formes ont attiré l'attention, c'est sa voix qui a laissé une empreinte dans l'Histoire. Aujourd'hui, elle peut relever la tête. Car elle a transmis bien plus que des exploits : la puissance de ne pas permettre aux autres de parler à sa place. Son sprint le plus mémorable ? Celui où elle a pris la parole - et où elle a terminé en tête.


Par : Anne-Sophie MESLEM


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