Pedro Almodóvar : Les Larmes Rouges d’un Cinéma qui Hurle en Dansant

04/07/2025
Certains réalisateurs sont à regarder. Et puis, il y a ceux qui nous regardent en retour — Almodóvar nous observe, nous maquille, nous secoue. Il ne filme pas : il utilise la peinture, laisse échapper des larmes et détone. Par l'intermédiaire de femmes embrasées, de mères saignant, d'hommes indistincts et d'amants passionnés, Pedro Almodóvar a transformé la souffrance en célébration et a donné au cinéma espagnol une portée universelle.


Un œil rouge carmin sur le monde

Pour lui, l'objectif se fixe au textile d'un rideau, à l'ourlet d'une jupe, au velours d'un souvenir. Il met en place des schémas de la même manière qu'on installe des totems - d'envie, de honte, de pouvoir. Le choix du rouge, qui est omniprésent, ne relève pas d'une préférence esthétique, mais d'une affirmation politique. Rouge de sang, rouge de désir, rouge de rage. Il met le feu à la norme. Dans un univers cinématographique souvent dominé par une perspective froide, masculine et anglo-saxonne, Almodóvar a introduit la latinité en tant que transgression visuelle.


Des femmes qui pleurent et qui ont le dessus

Ses femmes représentent des archétypes inversés. Elles pleurent, hurlent, donnent naissance, inhumées, aiment, trahissent, créent. Elles sont faites de chair et d'os, de foutre et de lait. De Carmen Maura à Pénélope Cruz, elles constituent son panthéon personnel. Il n'a pas « accordé la parole aux femmes », il les a plutôt laissées crier sous les projecteurs, sans les réduire à des rôles spécifiques. Almodóvar, c'est le féminisme dépourvu de slogan, mais empreint de la colère d'un exilé intérieur. Il a saisi que la souffrance des femmes revêt une dimension politique, que le corps peut être interprété comme un théâtre et que chaque goutte de larme constitue une déclaration d'intention.


Pourquoi lui, et pourquoi à cet endroit ?

Almodóvar émerge suite à Franco, tel un orgasme succédant à l'oppression. Il capture l'Espagne post-dictature avec le sourire d'un enfant découvrant un tiroir défendu. Grâce au kitsch, au mélodrame et à la démesure, il forge un cinéma direct et impertinent qui dérange tout autant qu'il captive. C'est ce désir insatiable de liberté qui a permis à l'Occident d'accéder au cinéma non anglophone. Il n'attend pas d'autorisation. Il impose l'image de l'Espagne au monde, loin d'être celle d'une Espagne touristique ou folklorique, mais plutôt celle d'une Espagne queer, ouvrière, hystérique, blessée et vivante. Une Espagne qui danse sur les décombres de son silence.


Gael García Bernal et Pénélope Cruz : les figures d'un manifeste

Pedro sélectionne ses acteurs de la même manière qu'on sélectionne ses armes. Dans La Mauvaise Éducation, Gael García Bernal se transforme en un reflet trouble, androgyne et politique. Pour lui, Pénélope Cruz est sa madone des souffrances, sa Vierge à la fois baroque et profane. Il ne les contrôle pas, il les libère. En les modelant avec son objectif, il transforme leurs corps en messages - Pénélope, enceinte et maquillée, symbolise une Espagne qui donne naissance à ses tabous, tandis que Gaël métamorphosé déclare : « voici ce que vous ne souhaitez pas voir, mais que vous regarderez quand même ».


Analyse sociale et satire mordante enveloppées dans la soie

Almodóvar aborde des sujets tels que l'inceste, le deuil, la religion, la drogue et la transidentité, sans jamais céder au naturalisme social. Il demeure dans l'artifice, car le mensonge est plus vrai que la réalité. Son cinéma est un festival : vibrant, impitoyable, magnifique, osé, divin. Il saisit ce que trop de gens négligent : le baroque représente une forme de résistance. C'est juste assez pour exprimer l'indicible. Il utilise la satire comme un torero manie sa cape : pour dérouter, pour envoûter, pour asséner des coups.


L'ultime scène 


Almodóvar, c'est un cri d'amour déchiré dans une discothèque, une goutte de maquillage, un orgasme sur grand écran. Il n'a pas seulement effleuré le cinéma étranger : il l'a littéralement conquis en robe reason velvet, talons hauts aux pieds, avec la voix de Chavela Vargas et les entrailles d'une mère en deuil. Son cinéma ne se contente pas d'être visuel : il est viscéral. Il persiste sous la surface de la peau. Cela suscite le désir de vivre, de pleurer, d'aimer, de désobéir.
C'est peut-être pourquoi il est l'un des rares authentiques poètes du XXIe siècle.

Par : Anne-Sophie MESLEM


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