Mariés au premier cafard et Bachelor : pourquoi est-ce si addictif de regarder les gens galérer à trouver l’amour ?
22/05/2025
Tu connais ce moment féerique où, après une journée de travail marquée par un millier de réunions Zoom, tu te laisses enfin tomber sur ton canapé, sandwich à emporter dans les mains, prêt·e à regarder un épisode captivant du « Bachelor » ou à t'immerger dans les tracas amoureux de personnes dont tu ne saurais même pas prononcer le nom ? Effectivement, tu as aussi cette petite voix intérieure qui te murmure : « Pourquoi suis-je en train de regarder ça alors que ma vie est bien plus stable ? »
Spoiler alert : c'est ultra addictif.
Le rythme d'une ère où l'amour s'est transformé en un défi comparable à un marathon
Entre Tinder, applications de rencontres, sessions de speed-dating et pression liée à la "rencontre idéale", l'amour s'est éloigné du conte de fées pour devenir un véritable parcours semé d'embûches. Les émissions comme Le Bachelor ou Mariés au premier regard illustrent parfaitement cette quête incessante, ce défi contemporain : dénicher quelqu'un avec qui on aura vraiment une affinité, sans fausses notes ni cafards (réels ou symboliques). Ce qui captive, c'est cette combinaison de vulnérabilité, d'espoir et d'absurdité. Observer les participants se battre, s'exposer et parfois échouer nous rappelle que nous partageons tous le même combat, sauf qu'eux le font sous les feux de la rampe avec des caméras braquées sur eux.
Détente et empathie : un cocktail qui fait mouche
Visionner ces récits à la télévision, c'est comme un petit rituel post-travail réparateur : on rit, on pleure, on critique un tant soit peu (sans excès), on se relâche. On se sent moins isolé·e dans nos propres histoires d'amour chaotiques. Allez, reconnais, c'est un bon moyen de ne pas cuisiner : la pizza est idéale pour ça.
Pourquoi les dernières saisons donnent-elles cette sensation d'exploiter et de vendre du rêve aux participants ?
Ces dernières années, les émissions en direct sur l'amour, telles que Le Bachelor ou Mariés au premier regard, ont tendance à se diriger vers un format où le divertissement et le drame surpassent souvent la véritable authenticité. Cette évolution illustre plusieurs aspects sociologiques significatifs.
La commercialisation de l'intime et le capitalisme émotionnel
Les sentiments, l'amour et les relations interpersonnelles sont devenus des biens à consommer. La production offre l'illusion d'un amour idéal, à la portée de tous, mais par le biais d'un prisme extrêmement standardisé qui amplifie le suspense, l'intensité et parfois la manipulation. Les participants sont simultanément des protagonistes et des victimes d'un système qui prône le sensationnalisme.
Une recherche d'identité dans une société extrêmement connectée
Dans un univers où les interactions deviennent numériques et où l'individu est sans cesse visible sur les plateformes sociales, ces programmes présentent une exposition simultanément attirante et périlleuse. Pour plusieurs, c'est une chance de bâtir une identité publique, de se faire repérer - ce qui peut engendrer une sorte d'exploitation individuelle, étant donné que la ligne séparant vie privée et spectacle tend à disparaître.
Le voyeurisme et la catharsis collective
Le public a un goût pour le voyeurisme et les drames humains qu'il ne connaît pas nécessairement dans sa propre existence. Ces émissions tirent parti de cette demande en créant des formats où la douleur et le succès sentimental sont exagérés, parfois au détriment de la dignité des participants.
Un faux sentiment de maîtrise sur l'amour
En proposant un « processus » de rencontre structuré et encadré, on crée l'illusion que l'amour peut être contrôlé, presque comme une production industrielle. Cela apporte une certaine tranquillité d'esprit et fascination, toutefois, cela engendre également un sentiment de frustration et de discordance avec une réalité fréquemment plus complexe.
Matchés, mariés… et largués dans la story suivante
En essence, on ne suit pas Mariés au premier regard pour croire en l'amour. On observe le malaise, le frisson d'embarras, la fameuse scène où l'un suggère timidement de passer la première nuit « séparément »... Ces moments nous captivent autant qu'un excellent cliffhanger de série. Nous sommes dépendants de cette tension, de ce qu'elle reflète sur nous, nos craintes, nos espoirs, nos échecs.
Cependant, en dépit des tests de caractère et des garanties de « compatibilité scientifique », les statistiques sont obstinées : moins de 25 % des couples réussissent à surmonter la réalité. En effet, au-delà de la prise de vue et du montage, il est nécessaire de gérer la réalité quotidienne, les silences, les poids émotionnels, la vie sans l'accompagnement d'une musique de fond. On ne peut pas commander l'amour à distance.
Pire encore, ces programmes exploitent parfois des stéréotypes bien ancrés : l'homme distant, la femme trop sentimentale, la recherche de l'âme sœur perçue comme une compétition ou une performance. Et lorsque ces unions donnent naissance à des enfants, la séparation devient d'autant plus perceptible, plus douloureuse, plus exposée. À l'instar de Laure et Matthieu : un couple qu'on désirait apprécier, mais qui finit également par se transformer en une autre statistique.
Alors pourquoi persiste-t-on à regarder ? Peut-être parce qu'au fond, on souhaite que cette fois-ci, ça fonctionnera. Ou peut-être parce que cela nous rassure, en quelque sorte, de constater qu'avec toute une équipe de psychologues et de monteurs, l'amour demeure une loterie. Aléatoire, imparfait, profondément humain.
Musique : "Somebody That I Used To Know" de Gotye (pour la nostalgie des relations passées)
Par Anne-Sophie MESLEM