Les rythmes derrière les platines : DJs et santé mentale en surchauffe
16/07/2025
Ils sont jeunes, captivants, balayés par des faisceaux laser, recouverts de transpiration et d'euphorie artificielle. Ils assurent devant des flux humains, font résonner les foules et enflamment les nuits. Ils représentent une vision particulière du pouvoir contemporain : celui de convertir une émotion en son, un corps en rituel, une soirée en souvenir. Mais qui prend soin de ceux qui veillent à nos nuits, loin des lumières stroboscopiques ?
Le cas Tim Bergling
Tim Bergling, plus connu sous le nom d'Avicii, s'est suicidé à l'âge de 28 ans en avril 2018 dans une luxueuse résidence à Oman. Il a à son actif des succès mondiaux tels que Levels, Wake Me Up et Hey Brother, comptabilisant des milliards de diffusions… Et une interrogation qui perturbe : comment un jeune homme si doué, si fortuné, si « chéri », a-t-il pu se retrouver si isolé, si fatigué, si démoralisé ? Dans le film documentaire « Avicii: True Stories » (2017), on observe littéralement Avicii implorer son équipe de mettre fin aux tournées. On l'entend souvent dire :« Je vais mourir si je persiste. »
Réaction du secteur ? Silence, argent et prochaine réservation.
Épuisement professionnel, alcool et anxiolytiques
Les DJs subissent généralement un burnout qui est à la fois fort et profond. Considérons l'exemple d'Avicii, qui a effectué plus de 320 représentations en une seule année à son sommet, un rythme frénétique qui épuise tant le corps que l'esprit. Pour maintenir ce train de vie, nombreux sont ceux qui succombent aux dépendances : l'alcool pour apaiser les inquiétudes, les médicaments pour s'endormir, et les stimulants pour se remettre en forme. Ils se trouvent donc dans un isolement total, déconnectés de toute référence tangible, confinés dans des chambres d'hôtel inhospitalières et dépouillées, aussi anonymes que des lits d'hôpital.
Faire danser le monde, jusqu'au burn-out
Selon le rapport IMS Business, l'industrie mondiale de l'EDM avait une valeur d'environ 8,5 milliards de dollars en 2023. Les artistes principaux amassent des fortunes : 23 millions de dollars pour Martin Garrix, 13 millions pour David Guetta, sans inclure les droits d'auteur SACEM.
Cependant, derrière le glamour et les avions privés, le coût humain est exorbitant. Les DJs les plus sollicités effectuent entre 150 et 300 spectacles annuellement, soit un spectacle tous les deux ou trois jours. Dans cet environnement hautement concurrentiel, l'avertissement est explicite : « Si ton agenda n'est pas plein, quelqu'un d'autre le sera. »
Sous l'impulsion des plateformes, des marques et de la culture éphémère, le DJ se transforme en un automate polyvalent : artiste de performance, créateur, influenceur, représentant... Toujours en ligne, jamais en pause.
Ce modèle d'hyperproductivité épuise les corps et fracture les esprits. Il a réduit Avicii en poudre. Il a emporté Erick Morillo. Et il continue de pousser certains à la limite, dans un monde où la réjouissance semble sans fin — même lorsque l'être humain lui-même perd pied.
Reconsidérer la santé mentale dans la musique électronique
Des drames semblables à celui d'Avicii ne sont pas des cas isolés. Ces signes sont révélateurs d'un système de performance intensive, où l'artiste est exploité en tant que ressource jusqu'à l'épuisement. Il est crucial d'intervenir sans délai.
Des solutions tangibles se dessinent :
- Psychologues de tournée, à l'image des sportifs de haut niveau - Restriction du nombre de concerts annuels - Éducation dans les écoles de musique et de MAO - Espaces d'échanges et syndicats d'artistes indépendants - Congés créatifs sponsorisés par les labels, afin d'éviter l'épuisement.
Danser autrement, durer vraiment
Nous devons réévaluer notre relation avec la musique : derrière chaque performance, il y a une personne, pas un automate. DJ Snake, qui sait se démarquer en dehors de la scène, et Kygo, qui favorise un rythme apaisé, démontrent qu'une autre voie est envisageable : ressentir sans se fissurer.
La démarche est initiée. Artistes, labels et auditeurs, tous se posent des questions sur le rythme effréné pour créer une musique plus humaine et pérenne.
Créer sans se brûler. Mélanger sans disparaître. Danser sans s'écrouler. Donc, poursuivons la danse — mais de manière lucide, libre et vivante.