Le parcours hors normes de Berthet One : de la taule aux toiles, un vrai chef-d’œuvre de résilience 

16/06/2025
Dans l'univers délicat des galeries d'art, Berthet One fait son entrée tel un cyclone... chaussé de baskets et armé de crayons. Né en 1976 dans la cité des 4000 à La Courneuve, il aurait pu se retrouver dans un clip de rap ou une série Netflix sombre. Pas du tout. Lui, il a décidé de laisser ses toiles s'exprimer — et un peu sa planque également.


Grandir en Seine-Saint-Denis : une enfance entre regard vif et premiers élans

Grandir dans le 93, c'est apprendre très tôt à avoir un regard vif sur le monde. Berthet One a été élevé par des parents qui, malgré un environnement parfois difficile, avaient le devoir — et la nécessité — de transmettre des valeurs fortes : respect, courage, honnêteté. Ce socle familial lui a donné des racines solides, même si la vie ne l'a pas toujours épargné.

Dès son plus jeune âge, il possédait ce talent inné pour décoder les visages, les mimiques et les récits qui se déroulaient autour de lui — à l'image d'un jeune journaliste en devenir. Cependant, bien que ce regard ait déjà constitué un art en soi, ce n'est qu'un peu plus tard qu'il a véritablement commencé à dessiner et à tracer ses premiers traits.
L'enfance ne se définissait pas encore par les pinceaux et les toiles, mais par la nécessité de comprendre, de saisir la vie dans sa réalité brute et injuste. C'est lors d'épreuves et de rencontres ultérieures que son talent a véritablement révélé sa portée artistique.


La taule, ce grand atelier à barreaux 

En 2006, le destin décide de lui infliger une longue incarcération — dix années en tout. Ce n'est peut-être pas la résidence artistique la plus prestigieuse, mais Berthet a rapidement réussi à métamorphoser cette tôle en véritable espace de création. Visualisez-le, avec un crayon en main, esquissant des portraits sur les parois grises et les papiers éparpillés, tandis que certains s'ennuient à mourir. Et pour couronner le tout, un gardien qui ne se limite pas à compter les détenus, mais qui sait aussi détecter les talents, devient son plus grand supporter. 

Au lieu de contrôler son numéro d'identification, ce gardien encourage sa persévérance et lui donne même la possibilité de participer aux ateliers de dessin. On l'imagine bien, dans le rôle de coach improvisé : « Allez, Berthet, fais-moi rêver un peu, ça m'aide à faire mes 8 heures ici! »


De la prison à la scène : lorsque la liberté prend vie à travers le dessin

En dépit de sa détention, Berthet One a remporté le premier prix du concours « Transmurailles » au Festival d'Angoulême en 2009, démontrant qu'on peut emprisonner un homme, mais pas son talent ou son style.

Lors de sa sortie, il dévoile L'Évasion, un album qui, comme son nom l'indique, procure une véritable respiration d'air frais. Plus de 10 000 copies écoulées, pas mal pour un type qui a transformé sa cellule en studio. En 2013, il fonde même l'association Makadam, dans le but de partager son art dans les zones sensibles et les établissements pénitentiaires — démontrant que l'incarcération ne l'a pas rendu amer, mais davantage résolu.


Un style qui surprend et pousse à la réflexion

Il est ardu de classer le travail de Berthet One sous une étiquette précise. Avec un mélange d'humour mordant, d'ironie douce et d'acuité observationnelle, son style unique a la capacité singulière de déclencher le rire… tout en provoquant une certaine gêne. Il éclaire ce que l'on a souvent tendance à cacher dans l'obscurité : les préjugés, les dynamiques de pouvoir et l'absurdité du quotidien. Les personnages qu'il a créés semblent parfois être des caricatures, mais en réalité, ils sont des reflets. Ces éléments laissent entrevoir des éducateurs épuisés, de jeunes délinquants cherchant à se faire remarquer, des agents de l'État exténués par les processus administratifs, des familles en équilibre précaire — ainsi que toutes ces personnes que l'on côtoie sans véritablement les percevoir.

Dans son œuvre, la rue n'est jamais idéalisée, mais elle n'est pas non plus délaissée. Elle est dépeinte avec sincérité, subtilités, et principalement une grande tendresse. Il ne s'agit pas d'une question de morale, mais de clarté d'esprit. Il ne se pose pas en donneur de leçons : il narre, interroge, met en lumière l'humain avec ses défauts et ses éclats.


Un engagement qui dépasse le dessin 

Ce qui impressionne chez Berthet One, c'est son aptitude à ne pas se contenter de sa propre réussite. Il aurait pu simplement se concentrer sur la vente de ses albums et profiter de son succès en tant qu'« auteur repenti ». Pas du tout. Son souhait est de tendre la main, d'ouvrir la route, de redonner une voix à ceux que l'on n'entend pas — ou que l'on n'écoute plus. Avec Makadam, il conduit des ateliers dans les prisons, les centres d'hébergement et les zones qualifiées de « sensibles ». Il partage bien plus que des compétences en dessin. Il aborde les thèmes des parcours, des potentialités, des options. Il démontre, par sa propre expérience, qu'il est possible de regagner le contrôle de son récit, même lorsque tout paraît immuable.


Un passeur de réalités 


Actuellement, Berthet One ne se limite pas à être un auteur. C'est un observateur, un intermédiaire, un homme qui convertit les barrières (de prison, de quartier, de préjugés) en feuilles à noircir, à déchiffrer, à réviser. Son crayon, aiguisé comme une épée mais animé par un esprit chargé d'humour, dessine des ponts là où on construit généralement des barrières. Effectivement, grandir en Seine-Saint-Denis, connaître la prison et en sortir avec un projet et une vocation : ce n'est pas exactement un récit de fées. Cependant, cela donne un récit puissant, utile et indispensable. Un récit à découvrir, à partager et surtout… à étendre.

Par : Anne-Sophie MESLEM


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