Jay Kay, souverain du rythme cosmique - ou l'histoire de ce petit garçon démuni qui rêvait de faire le Moonwalk dans les embouteillages
13/07/2025
Dans un univers où les enfants en détresse se transforment en adultes amers ou oubliés, se trouvait un jeune blanc, assis à l'arrière d'une voiture, qui vivait ses rêves à travers le funk. Et il a finalement dansé sur le toit.
L'enfant qui observait le monde à travers la vitre arrière
On l'imagine, enfant muet. Des chaussures usées, les cheveux en désordre, les yeux fixés sur le panorama qui se déroule. Au-delà du vitrage arrière, la réalité est grisâtre : logements sociaux, difficultés, père absent, finances en berne. Néanmoins, dans son esprit, on trouve des couleurs, des paillettes, des synthétiseurs et une basse à slap. Jay Kay n'est pas né célèbre. Il est né dans un angle mort. C'est peut-être la raison pour laquelle il a appris à danser sur le côté, à marcher de manière irrégulière, à glisser là où on ne l'attendait pas. Quel est son nom réel ? Jason Luís Cheetham. Sa mère est une artiste de jazz, tandis que son père ne se trouve pas dans les parages. L'argent ne coule pas à flot. Mais la musique, oui.
L'homme blanc au chapeau qui fait danser les planètes
Lorsqu'il fait son apparition aux côtés de Jamiroquai au début des années 90, le monde n'est pas encore préparé. Un homme blanc anglais, en pantalon évasé, qui chante à la manière de Stevie Wonder et groove comme James Brown ? Trop bizarre pour les classements musicaux, trop décalé pour les puristes, trop libre pour les stations de radio. Et néanmoins… c'est une explosion.« Too Young to Die », « Virtual Insanity », « Cosmic Girl » … Jay crée un univers alternatif : écologique, intergalactique, dansant, sexy et désabusé. Son corps exprime le langage des ghettos américains, sa voix celle des boîtes de nuit londoniennes, son esprit celui d'un jeune qui n'a jamais cessé de rêver dans les embouteillages.
Pas de conservatoire de musique, mais un doctorat en survie
Jay n'a pas suivi de cours de solfège au conservatoire. Il a assimilé le tempo dans les entrailles du tangible. Dans les moments de défaite, dans les colères populaires, dans les nuits sans chauffage. Chaque note représente une revanche. Chaque vidéo est un manifeste. Et ce chapeau (souvent raillé, jamais surpassé) ? C'est une représentation. Une couronne douce pour un roi pas tout à fait confiant, mais qui progresse. Un rempart pour se déhancher sans vergogne. Un dôme anti-défaite.
L'élégance de celui qui n'était pas censé être là
Jay Kay, c'est l'exception sublime.
L'homme blanc qui se déhanche sans plagier ni imiter.
Il porte les marques d'un enfant qui a « grandi de travers », mais en a fait une forme d'esthétique. Alors que les autres aspirent à la gloire, lui aspire à l'espace. D'amour universel. Sur la liberté à 120 BPM.
Il ne désire pas devenir une célébrité. Il aspire à naviguer dans un monde où les caisses ne piétinent pas les enfants.
Et aussi cette colère, oui
Il ne faut pas se méprendre. Sous le vernis de la flexibilité se cache la colère.
Opposé aux politiques. Le changement climatique. Les grandes entreprises. La rapidité. Le tapage.
Jay est un rebelle rétro. Un type en jeans évasés qui prétend que la planète brûle pendant que tu scrolles.
Et il l'exprime en faisant bouger tes pieds.
Jamiroquai, c'est la bande-son des personnes qui ne correspondent à aucune catégorie.
Les personnes trop sensibles.
Les trop extravagants.
Les individus qui se trémoussent seuls dans leur salon à deux heures du matin, car ils ne savent jamais s'exprimer sans l'accompagnement musical. Il ne s'agit pas d'un groupe. C'est une façon de penser.
Et s'il n'avait jamais existé ?
Il aurait été nécessaire de l'inventer. Ce gamin a une voix angélique et un talent prodigieux.
Ce survivant élégant.
Ce gars qui assure dans une 205 avec des vitres à manivelle.
Ce rêveur des quartiers périphériques qui pensait que le funk pouvait sauver les gamins dans la misère.
Et qui l'a démontré.
Par : Anne-Sophie MESLEM