Disparus : enquête, mémoire et vision collective

16/07/2025
On déplore certains décès, tandis que l'on tente parfois de retrouver des personnes disparues avec des ressources limitées, souvent dans l'incertitude et constamment avec une multitude d'interrogations demeurant sans réponse. Des visages figés sur des photos ternies, des noms prononcés entre deux bulletins météorologiques, des disparus qui hantent des chambres, des villes et des enquêtes. S'évanouir ne signifie pas mourir : cela engendre un malaise collectif, une inquiétude face à l'incertitude. Ce qui nous est insupportable, c'est l'ignorance. On comble les lacunes avec des théories, des espoirs, des podcasts et des suspects.


Disparition : l'ivresse collective

Chaque année, en France, des milliers d'individus disparaissent, certains de leur propre gré, d'autres de manière tragique, et pour beaucoup, sans que l'on parvienne à comprendre pourquoi ou comment. Ces récits sont diffusés à la télévision, généralement entre deux bulletins météorologiques, souvent résumés par un nom, une date de naissance et l'incontournable phrase : « quiconque détient des informations est prié de contacter... ». Puis, le silence s'installe. Ce qui demeure, ce sont des visages reproduits sur des panneaux placardés dans les abribus, des noms que les proches persistent à chuchoter, et une sensation d'étourdissement : celle d'un monde apte à faire disparaître un individu sans laisser aucune empreinte.


Tara Calico : symbole d'une disparition sans réponse

Si un cas devait symboliser ce vertige, il s'agirait de l'affaire de Tara Calico, une étudiante de 19 ans disparue le 20 septembre 1988 au Nouveau-Mexique. Elle est partie faire du vélo et n'est jamais revenue. Sans témoin, pas de lieu de crime. On a juste trouvé quelques bouts de cassettes audio et un walkman cassé sur le chemin. Ensuite, neuf mois plus tard, une image Polaroid est découverte sur un parking en Floride : on y voit une jeune fille et un garçon bâillonnés, attachés à ce qui semble être une camionnette. La mère est convaincue que c'est Tara. Les spécialistes sont indécis. La police demeure hésitante. Cette image devient l'emblème parfait du « ni mort ni vivant », de ce flou terrible qu'on ne peut remplir.


Des affaires françaises qui nous renvoient une image similaire 

La France ne fait pas exception. De Marion Wagon, une fillette de 10 ans disparue à Agen en 1996, qui a été la première enfant dont le portrait a été reproduit sur des cartons de lait - une initiative avant-gardiste visant à faire connaître son visage dans chaque maison, comme c'est le cas aux États-Unis - à Estelle Mouzin, disparue en 2003 et dont l'affaire a nécessité près de vingt ans pour être reliée à un criminel déjà détenu. Et ensuite, Lucas Tronche, un jeune exemplaire du Gard, qui a disparu en 2015 et dont les restes ne seront découverts qu'en 2021, à quelques mètres de son domicile, au point qu'on se questionne sur la manière dont on a pu « rater ça ».



Disparus : le double fardeau du silence

S'évaporer, c'est pénible. Cependant, disparaître dans un système judiciaire embourbé, c'est une autre histoire. C'est endurer une double perte : d'abord la perte d'un proche, ensuite celle de la foi en un État censé rechercher. Alors que les proches apposent des posters et que les journalistes déclarent « La France est bouleversée », le dossier, quant à lui, reste en attente. Le suspect dort paisiblement. Le processus est au point mort. Le temps s'écoule.
En France, toute disparition d'un adulte est initialement jugée comme étant « volontaire ». Un réflexe bureaucratique qui entrave l'action. En l'absence d'un corps, il n'y a pas de crime. S'il n'y a pas de délit, il n'y a pas d'urgence. Le dossier piétine, emportant avec lui l'espoir.

Jusqu'à tout récemment, les « cold cases » s'entassaient dans des classeurs poussiéreux, sans suivi régulier ni équipe spécifique dédiée. Un pôle national n'a été établi à Nanterre qu'en 2023. Il est le fruit de la lutte acharnée de familles épuisées, résolues à ne pas laisser disparaître le souvenir de leurs proches.
Les progrès technologiques — ADN, géolocalisation, caméras — ont rendu possibles des avancées, comme on a pu le constater dans l'affaire Maëlys. Cependant, ces instruments ne substituent ni à la détermination politique, ni à l'encadrement humain. Et lorsque l'inertie s'installe, ce sont les familles qui assurent la continuité. Enquêteurs amateurs, archivistes involontaires, juristes à leurs moments libres. Elles assimilent les principes de la justice tout en apprenant à faire face à l'absence.

Disparaître, c'est aussi effacer une portion de ceux qui demeurent. Les familles ne se contentent pas de pleurer l'absence ; elles jonglent entre espoir et désespoir, lutte et fatigue. Elles déplorent l'insensibilité, les formalités administratives, les appels ignorés, les longs mois d'attente et l'isolement dans le tumulte médiatique. La peine cumulée.
Pourtant, elles persistent. En dépit de la fatigue, du frisson, de l'oubli. Animées par un amour indéfectible. Par une puissance qui transcende le désespoir. Et qui, de manière autonome, préserve la mémoire en vie.


Ne pas permettre au silence de triompher


Une photo est souvent le premier indice dans une enquête de disparition. Un tableau statique, une demande de témoignage et l'attente. L'image interpelle, mais ne rend pas vraiment justice. Elle initie parfois l'investigation... mais il est rare qu'elle la clôture.
Devant l'absence, des familles mettent en place leur organisation. Associations, collectifs, défilés, vidéos ou podcasts : diverses manières de dire non à l'oubli. À l'instar du clip Runaway Train, qui était projetée sans interruption dans les années 90 et qui combine musique et portraits disparus, ces actions nous rappellent que tant qu'il y a du regard, il y a de l'espoir.
Dans un univers de démarches lentes et de bureaucratie impersonnelle, c'est cette ténacité — humaine, fragile, obstinée — qui conserve les absents sous le projecteur.
Disparaître, c'est aussi continuer d'exister tant qu'il y a quelqu'un pour observer.

Par : Anne-Sophie MESLEM


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