"Red Flags et Blue Dress" : comment l’Amérique a tué Monica Lewinsky
14/06/2025
1998. Une jeune stagiaire de 22 ans fait tomber un chef d'État et une bonne partie d'un pays grâce à une robe bleue, un cigare, et sa fameuse phrase : « Je n'ai pas eu de relations sexuelles avec cette femme. » Monica Lewinsky s'est transformée en bien plus qu'une simple « victime de l'affaire » : elle incarne le reflet d'une nation qui sanctionne les femmes, épargne les puissants et fait des scandales sexuels un divertissement national. C'est ainsi que l'histoire aurait dû nous instruire.
Entre le bureau ovale et la hache médiatique : bienvenue en enfer
Monica Lewinsky n'a pas commis de meurtre.
Elle n'a pas commis de vol, ni menti sous serment, ni déclenché un conflit au Moyen-Orient. Elle a joué, rêvé, puis agi comme beaucoup de stagiaires avec leurs patrons — à ceci près que le sien était le président des États-Unis. Et que lui, à la différence d'elle, avait tout à perdre et rien à endurer. Lorsque le scandale explose, c'est Monica qui se retrouve au centre des moqueries mondiales.
Pas de Clinton. Monica.
À l'âge de 22 ans, elle se trouve sous le coup d'une enquête du FBI, trahie par une « amie » (salut Linda Tripp), et exposée à la vindicte de millions d'Américains puritains, de journalistes impitoyables et d'humoristes vulgaires. On l'insulte, on la qualifie de putain, de tentatrice, d'idiote. On se concentre sur sa robe, pas sur les mensonges d'État.
Bienvenue dans l'Amérique des années 90 : un monde où les femmes sont tenues responsables des érections masculines, et où les hommes en costume-cravate ont une liberté totale tant qu'ils se montrent capables de pleurer à la télévision.
Du puritanisme, de la pornographie légère et du patriarcat
À cette période, les États-Unis sont dans une configuration schizophrénique : D'une part, l'Amérique blanche des « family values », obsédée par la morale sexuelle ; D'un autre côté, un empire médiatique voyeuriste, nourri par le sensationnel, les titres à la une et les scandales. La sexualité des femmes y est considérée comme un danger.
Monica n'est pas pardonnée pour avoir suscité le désir. Pire serait de vouloir en retour.
Dans ce pays, la capacité sexuelle d'une jeune femme, en particulier si elle est ronde, brune et juive, n'est pas synonyme de glamour - c'est plutôt une faute inexcusable. Ce n'est pas de la séduction, c'est du sabotage.
Pendant que Bill ment, Monica paie
Clinton, quant à lui, en sortira renforcé.
Quasi auréolé. On observe une remontée de sa popularité.
Il se transforme en un « survivant », un homme politique « humain », un « gars comme les autres ».
Cet homme en position de pouvoir, l'adulte de la situation, est pardonné pour sa « faiblesse ».
Quant à Monica, elle sera :
- Rabaissée en public.
- Raillée sur toutes les plateformes.
- Élimination du marché de l'emploi.
- Réduite à une image dégradante.
- Elle consacrera une décennie complète à sa reconstruction en toute discrétion, tandis que Clinton rédige ses souvenirs.
Monica 2.0 : de cible à activiste
Et pourtant, elle ne se considère pas comme une victime.
Plus tard, Monica Lewinsky fait son retour en présentant un TED Talk dévastateur sur le harcèlement en ligne.
Elle se transforme en conseillère et productrice, notamment pour la série Impeachment (2021), où elle narre sa propre histoire, non celle façonnée par les tabloïds. Elle évoque le sujet de l'abus de pouvoir, du consentement ambigu, de la brutalité médiatique, avant même l'émergence de #MeToo.
Malgré tout, elle devient un symbole : celle de la jeune femme à qui l'on a tout enlevé, à l'exception de sa voix.
Et maintenant, quelle est la suite ?
Monica Lewinsky nous éclaire sur le fait que le sexisme dans les médias peut avoir des conséquences dévastatrices sur la vie d'un individu. Elle nous rappelle aussi que dans un abus de pouvoir sexuel, l'équilibre des forces n'est jamais respecté. Son récit démontre que l'histoire a toujours témoigné d'une peur envers les jeunes femmes qui occupent trop d'espace, que ce soit dans un milieu professionnel ou dans l'imaginaire collectif. Finalement, elle souligne que le pardon accordé aux hommes en position de pouvoir est une coutume fortement patriarcale.
Elle nous démontre également qu'il est possible de refuser d'être confinée à une seule représentation. Elle démontre qu'une renaissance est envisageable, même suite à une humiliation planétaire. Elle nous rappelle qu'il est nécessaire de s'exprimer, même si cela peut gêner.
Message final
On désigne par « relation inappropriée » rien d'autre qu'une friandise dans la salle Roosevelt. On évoque une « erreur de jeunesse » lorsqu'il s'agit d'un homme âgé de cinquante ans. Derrière l'expression « elle l'a cherché », se cache une interprétation directe et brute : la femme existait.
Et si on arrêtait de tuer les femmes avec des mots ?
L'histoire de Monica Lewinsky n'est pas celle d'une erreur.
C'est celle d'un système cannibale, où les femmes sont toujours de trop, trop jeunes, trop séduisantes, trop humaines.
Mais elle, elle a survécu.
Et c'est bien plus que ce qu'on attendait d'elle.
Par : Anne-Sophie MESLEM